lundi 7 janvier 2013

Policiers au-dessus de la transparence


La Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP) s’intéresse depuis toujours à la problématique des décès aux mains de la police.
La CRAP contribue, entre autres choses, à documenter ces incidents tragiques, en particulier ceux survenus à Montréal.
Pour ce faire, de nombreuses recherches ont été effectuées dans les archives des quotidiens montréalais.
À cela s’ajoute la consultation de communiqués de presse émis par le ministère de la Sécurité publique lorsqu’une enquête policière est transférée à un autre corps policier suite à un décès aux mains de la police, permettant ainsi de découvrir des incidents passés sous silence dans les pages des grands journaux montréalais.
L’ensemble de ces recherches ont permit de répertorier pas moins de quatre-vingt-onze décès aux mains du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) depuis 1987, ce qui comprend les décès survenus lors d’interventions policières où les policiers ont utilisés la force, les décès survenus lors de poursuites policières à haute vitesse et les décès durant la détention dans les cellules de poste de police.
Notons que ces chiffres ne sont en aucun cas définitifs, l’existence de d’autres décès de citoyens aux mains du SPVM ne pouvant être exclue, loin de là.
Par ailleurs, les informations recueillies lors de ces recherches se sont avérées insuffisantes à différents égards.
Dans plusieurs cas, on ignore à peu près tout des circonstances entourant le décès. Ainsi, les incidents n’ayant pas donné lieu à une enquête publique du coroner ou à un procès au criminel ou en déontologie policière, sont généralement sous-documentés.
Or, les enquêtes publiques du coroner sur les décès de citoyens aux mains de la police sont loin d’être monnaie courante au Québec. À notre connaissance, le Bureau du coroner a tenu seulement cinq enquêtes publiques de ce genre depuis les dix dernières années. 
Pourtant, dans certaines provinces et territoires canadiens, les coroners en chef et médecins légistes en chef sont tenus par la loi de tenir une enquête publique lorsque la personne décédée était sous la garde d’un policier au moment de sa mort. Cette obligation est en vigueur en Ontario, dans les Territoires du Nord-ouest, au Nunavut et au Yukon.
En Colombie-Britannique et en Alberta, l’enquête publique devient obligatoire lorsqu’une personne meure de façon violente sous la garde de policiers.
Au Manitoba, une enquête publique doit être tenue lorsqu’une personne décède des suites d’un acte ou d’une omission d’un policier dans l’exercice de ses fonctions. 
La Loi sur la recherche des causes et circonstances des décès, qui régit le travail des coroners au Québec, ne contient aucune disposition portant spécifiquement sur les décès survenant durant la garde par des policiers, ce qui n’est pas le cas dans les autres textes législatifs encadrant l’action des coroners ou des médecins légistes en chef dans le reste du Canada. 
Quant aux procès criminels pour des décès de citoyens aux mains de la police, ils sont encore plus rares. Rappelons que chaque incident où des citoyens ont été tués ou ont subis des blessures graves aux mains de la police fait l’objet d’une enquête criminelle menée par un autre corps policier que celui impliqué dans l’incident en vertu d’une politique ministérielle appelée « enquête indépendante ».
Les données du ministère de la Sécurité publique indiquent qu’il y a eu 373 « enquêtes indépendantes » depuis 1999, dont 330 étaient terminées en date du 30 juin 2012, mais que celles-ci n’ont données lieu qu’à seulement trois mises en accusation, ce qui correspond à une moyenne de moins de 1%. 
Il convient ici de souligner le fait que le ministère de la Sécurité publique a attendu jusqu’en 1999 pour commencer à tenir un registre sur les soi-disantes enquêtes indépendantes.
Or, la pratique consistant à transférer une enquête policière à un autre corps policier suite à un décès aux mains de la police était alors vieille depuis plus de vingt ans : elle est en effet en vigueur depuis 1979 en ce qui concerne les décès de citoyens dans des postes de police, avant d’avoir été élargie, dix ans plus tard, aux décès de citoyens survenant lors d’une intervention policière.
Ce fait particulier démontre à lui seul le peu de volonté dont fait preuve le ministère responsable de toute la force constabulaire au Québec pour documenter le triste phénomène des décès de citoyens aux mains de la police.
Il faut aussi le déplorer le fait que le ministère de la Sécurité publique est devenu, avec le temps, de plus en plus avare d’information dans ses communiqués de presse annonçant la tenue « d’enquêtes indépendantes ».
Ainsi, les seules informations mentionnées dans les communiqués émis en 2012 sont la date de l’intervention policière et le nom du corps policier impliqué.* Le ministère ne se donne même pas la peine de préciser pas si l’intervention policière a donné lieu à un décès plutôt qu’à des blessures graves, ou vice-versa.
En comparaison, des communiqués de presse émis pour des motifs similaires, en 2004 ou en 2005, contenaient des informations sur les circonstances entourant l’usage de la force par les policiers, l’adresse civique devant laquelle l’intervention policière est survenue ainsi que l’heure précise où s’est déroulée celle-ci, l’âge du défunt ou de la personne blessée, l’heure précise où le décès a été constatée. 
Enfin, du côté du Commissaire à la déontologie policière, une demande d’accès à l’information a permis d’obtenir des données sur le nombre de dossiers où celui-ci a procédé à une enquête déontologique sur un incident ayant également fait l’objet d’une « enquête indépendante ». Notons que le Commissaire à la déontologie policière n’a pas le pouvoir de déclencher une enquête par lui-même.
Les données communiquées indiquent que seul un petit nombre d’événements ayant donné lieu à des « enquêtes indépendantes » ont également fait l’objet d’une enquête du Commissaire à la déontologie policière : quatre sur quarante en 2009, quatre sur vingt-huit en 2010 et cinq sur trente-sept en 2011.
Là-dessus, un nombre encore plus petit de ces dossiers d’enquête a abouti à des citations, c’est-à-dire des mises en accusation de policiers devant le Comité de déontologie policière, lequel est un tribunal administratif spécialisé : deux citations concernant deux événements différents en 2009  et une seule citation en 2011 . Précisons que certains des dossiers ouverts durant cette période étaient encore sous enquête en date du 3 décembre 2012.Lire la suite

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